Le début de l’hiver 1918 marque un tournant décisif dans le déroulement de la guerre : l’armée allemande bat en retraite. Le Reichstag exige le renvoi de Ludendorf, chef du parti militariste et nomme à sa place le général Groener, dont la mission est de mettre fin aux hostilités. Le temps presse : les Allemands sont fatigués de la guerre, les mouvements bolchéviques se multiplient, les marins de la flotte se mutinent et la grippe "espagnole" fait des ravages importants.
Cette grippe, particulièrement virulente et contagieuse, est dite "espagnole", car en 1918, seuls les Espagnols en parlent. Les autres nations la subissent également, mais n’en parlent pas afin de ne pas faire savoir à l’ennemi la faiblesse de leurs troupes. Actuellement, la grippe espagnole est considérée comme la plus grande pandémie de l’humanité et le chiffre de ses victimes dans le monde est estimé à 100 millions.
Le 31 octobre, les chefs de gouvernement et le colonel Housse, envoyé du président Wilson (États-Unis), ouvrent la première séance plénière du Conseil Supérieur de la guerre à Versailles et examinent les conditions d’un armistice.
Cependant, le maréchal Foch continue l’offensive et la cavalerie des alliés talonne l’armée impérialiste qui fuit vers la frontière belge.
Le 5 novembre, le président Wilson annonce à la chancellerie allemande que le maréchal Foch a les pleins pouvoirs pour lui faire part des conditions de l’armistice.
Dans la nuit du 6 au 7 novembre, le haut commandement allemand nomme les plénipotentiaires :
le ministre d’État Ersberger
le général major Von Winterfeldt
le ministre plénipotentiaire comte Oberdoff
le capitaine de vaisseau Vanselow
auxquels sont joints le capitaine Geiger du grand état-major général et le capitaine de cavalerie Von Helldorf, interprète.
C’est un matin de novembre comme les autres : froid, humide, des écharpes de brouillard qui traînent ça et là au-dessus d’un sol gelé, un ciel gris et plombé, une pluie fine et persistante : une symphonie de noir et de blanc.
Les hommes du 19ème Bataillon de Chasseurs à Pied (BCP) finissent de déjeuner, les mains collées à leur tasse contenant le café brûlant (ou ce qui en tient lieu), tandis que leur respiration, sous l’action du froid, embue leur vision.
A quoi pensent-ils pendant ce petit moment de trêve ? A leur adjudant Mouton qui a été tué la veille ? C’est le sergent qui maintenant le remplace. A leurs frères, leurs cousins, leurs amis qui, au cours de ces quatre dernières années, sont morts d’une balle de fusil ou d’un éclat d’obus, d’autres infirmes à vie ?
Oui, quatre longues années où ils s’éveillent chaque matin avec l’unique espoir de survivre jusqu’au soir. Dans les tranchées, éclaboussés par la boue et le sang de leurs compagnons déchiquetés, sales et couverts de vermine, respirant la poussière et la poudre, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il fasse froid ou chaud, ils restent là, chargent leurs fusils pour tuer "l’autre", "l’ennemi", le "Boche" !
Que sont devenus ces jeunes gens insouciants que le seul regard d’une belle rendait heureux ou désespérés ? Tuer et rester en vie sont maintenant leurs seuls objectifs.
Quand cette guerre se terminera-t-elle enfin ? Quand pourront-ils retourner au pays et oublier cette terrible et funeste parenthèse de leur vie ?
L’heure a sonné pour une nouvelle journée de marche. Après Guise le 4 novembre, Villers-lès-Guise le 5 où les premiers civils qu’ils rencontrent ne savent comment manifester leur joie, ils se dirigent, aujourd’hui 7 novembre 1918, vers Haudroy (Aisne). Ils se sont équipés et sont partis. Ils traversent la forêt de Nouvion (entre Le Nouvion en Thiérache et La Flamengrie). Les feuilles mortes assourdissent leurs pas, et les arbres exhalent une odeur de bois humide. Malgré le charme sylvestre qui les entoure, les yeux sont aux aguets du moindre mouvement suspect : une longue habitude transformée à présent en reflexe.
Dans l’après-midi, le sergent qui commande ce 19ème Bataillon, pointe d’avant-garde, les a informés : "Ce soir, il faudra faire attention, il paraît que des parlementaires allemands doivent se présenter devant nous". Tous souhaitent ardemment la fin de la guerre, et Georges Labroche, autant que les autres, mais il n’ose plus croire à un aussi fol espoir. Il se dit : "Encore un bobard !" et n’y pense plus.
LABROCHE Georges Emile
Fils de Charles et de REGNIER Marie Octavie "Joséphine"
° 22 avril 1896 à Chaligny
+ 13 novembre 1969 à ChalignyMariage du 21 janvier 1920 à Chaligny
avec Berthe Marie "Renée" REVEMONT
(1893 à Laon - 1976 à Ludres)Georges Labroche est clairon à la 1ère Compagnie du 19ème Bataillon de Chasseurs à pied, jumelé au 171ème Bataillon d’Infanterie. Ces deux bataillons constituent l’avant-garde sous les ordres du commandant Ducornez de la 166ème Division d’Infanterie du Général Cabaud.
Il fut l’un des trois premiers clairons de l’armistice. En hommage, le Conseil municipal de Chaligny décide de donner son nom à une place de la commune. Depuis septembre 1970, la place de la Fontaine, au Val, s’appelle "Place Georges Labroche".
A la lisière de la forêt de Nouvion, le paysage morne et légèrement vallonné s’anime soudain avec le 19ème BCP qui surgit des bois.
La cohorte des chasseurs à pied marche, marche : un pas après l’autre, comme une mécanique bien réglée.
Le soir arrive et l’obscurité envahit peu à peu l’espace. Il a plu toute la journée, les capotes mouillées pèsent davantage sur les épaules des soldats, mais ils avancent plus vite, car ils aperçoivent les premières maisons d’Haudroy. Ils vont pouvoir s’arrêter, manger, dormir et peut-être passer une nuit au chaud.
Ils campent dans les premières maisons, à 30 mètres des Allemands qui se sont installés dans d’autres maisons.
Il est 20 h. Georges Labroche, pourvoyeur de fusil mitrailleur, est en sentinelle derrière un gros saule. Il raconte : "Il pleuvait plus qu’on en voulait, quand tout à coup, j’entends la sonnerie du cessez-le-feu. Comme clairon, je la connaissais. En un instant, je me suis rappelé les paroles de notre sergent et j’ai couru sur la route, où j’ai vu les automobiles boches, tous phares allumés, un grand drapeau blanc devant, qui passaient et c’est là où Sellier sonnait avec le trompette allemand."
L’espoir, la joie ? Certainement un peu, mais davantage l’incrédulité comme si Georges Labroche doutait de ce qu’il avait vu, n’arrivait pas à imaginer ce que cet événement pouvait signifier pour lui et pour tous les autres.
Il retourne à son poste, derrière le gros saule et dans sa tête, il se remémore les voitures allemandes, le drapeau blanc... Serait-ce vraiment la fin de cette guerre qui n’en finit pas ?
Dans la nuit pluvieuse et froide, le canon continue de gronder... et les hommes de mourir.
Les quatre voitures allemandes se sont éloignées. Elles s’arrêteront à mi-chemin entre La Capelle et Haudroy, à quelques dizaines de mètres de la cote 232. C’est là que, au milieu de la route, le capitaine Lhuillier, commandant un bataillon des avant-postes, monte sur le marchepied de la voiture de Von Winterfeldt pour conduire les parlementaires allemands auprès du commandant de Bourbon-Busset. Le trompette allemand, le maréchal des logis Zobrowski est remplacé par le caporal-clairon Pierre Sellier de Belfort.
Après quelques péripéties, les plénipotentiaires arrivent à la Villa "Pâques", belle maison de La Capelle qui appartient à Monsieur Panhard, déjà célèbre par les automobiles qu’il fabrique. Ils y rencontrent le commandant de Bourbon-Busset qui leur fait part des conditions du voyage où les officiers français vont servir de guides.
Peu de temps après, tous les Allemands repartent avec les officiers français dans cinq automobiles françaises. En tête du cortège, la limousine Delaunay dans laquelle se trouvent le commandant de Bourbon-Busset et Von Winterfeldt, roule en direction de Saint-Quentin. Il est 22 h.
Une pluie fine et persistante continue de tomber. Les voitures avancent lentement dans la boue et les ornières de la route. Le mouvement des essuie-glaces semble compter le temps, tel un métronome, et la faible lumière des phares troue la nuit pour éclairer un spectacle de ruines et de désolation : villages détruits, maisons éventrées jalonnent la route.
A minuit trente cinq, le convoi s’arrête à Homblières, dans un presbytère, où un repas est servi. Au dessert, le général Debeney, commandant la 1ère Armée entre dans la salle à manger et invite les plénipotentiaires à le suivre pour être conduits auprès du maréchal Foch.
Ils montent dans les voitures fermées de l’état-major du maréchal Foch, dans le même ordre qu’avant. Une garde de quelques hommes du 123ème Régiment d’Infanterie est présente et leurs baïonnettes brillent dans la lumière des phares. Les voitures partent et, moins d’une heure après, sans aucun incident, le convoi arrive en gare de Ternier. Comme d’autres communes, celle-ci est en ruines. Un train est là qui attend les plénipotentiaires pour les emmener vers la clairière de Rethondes-Compiègne où le train du maréchal Foch est garé.
Rien ne transpire de cette rencontre, mais le lendemain 8 novembre, la mission de Bourbon-Busset, accompagnée des sonneries du clairon Philippe Roux, tente de passer les lignes pour faire parvenir au quartier général allemand, installé à Spa, les conditions de l’armistice.
Après trois tentatives infructueuses, Von Helldorf décide d’attendre à Buironfosse les nouvelles instructions du général Von Winterfeldt, resté à Rethondes.
La guerre continue, aveugle et sourde aux prémices de la paix et la mort continue de faucher les hommes de quelque côté qu’ils soient.
Dans la nuit du 8 au 9 novembre, les Allemands évacuent leurs avant-postes.
Le 19ème BCP reprend la route : Wignehies, puis Fourmies où la population lui réserve un accueil délirant. Cachés dans les caves par peur des représailles des troupes allemandes en retraite, les civils exultent de joie quand ils voient apparaître les premiers soldats français. Soulagement, joie, espoir, tous les sentiments sont exacerbés : on rit, on s’embrasse !
Il est presque 13 h. Georges Labroche raconte : "Moi, une bonne femme m’empoigne par le bras et m’emmène boire le jus. Ce n’était pas à dédaigner, surtout qu’il ne faisait pas trop chaud". Dans la cuisine, Georges pose son barda, s’assied à la table, tandis que la femme toute contente lui verse le "jus" : ce n’est qu’une décoction de fèves grillées, mais c’est bon quand même !
Tout en savourant son "café", Georges regarde autour de lui : cette cuisine ressemble à celle de sa mère : la "pierre à eau", la cuisinière et la cheminée, les rideaux aux fenêtres, tout semble à la fois familier et étranger. Pendant ce temps, la femme le regarde : ce n’est plus lui qu’elle voit, mais son mari, son frère, son parent, parti à la guerre. S’il n’est pas mort d’ici la fin des hostilités, il sera là à nouveau, tout comme ce soldat qu’elle vient d’accueillir chez elle ! Parfois, à son regard, elle saura qu’il est reparti là-bas en pensée, avec le sifflement des balles et les obus qui explosent. Peu importe, ils seront ensemble.
Leurs rêveries sont soudain interrompues par le sergent-fourrier Lhomme qui surgit à la porte, réclamant Georges Labroche. "Il m’engueula parce que, précisément, il me cherchait depuis un quart d’heure". Mon capitaine m’ordonna de laisser mon sac et mon fusil et de prendre place dans la première voiture, celle conduite par un Allemand. Le chauffeur était à ma droite ; derrière moi, le capitaine Von Helldorf et à sa droite, le capitaine de l’État-major français. Je me saisis du drapeau blanc des parlementaires et de mon clairon. Pour la première fois de ma vie, je montais dans une voiture de luxe".
Le cortège se compose de deux voitures : l’une allemande qui continuera son chemin vers Spa avec le capitaine Von Helldorf, et l’autre française qui ramènera les Français à Fourmies.
Le grand quartier général avait donné l’ordre de passer coûte que coûte et les plénipotentiaires allaient essayer d’y parvenir.
Le chauffeur de la première voiture démarre, suivie par la seconde, mais les chaussées défoncées les obligent à rouler lentement, sans compter les débris de vitres qui jonchent le sol sur plusieurs centimètres à cause d’un train allemand de munitions qui vient de sauter en gare. Des femmes, apercevant Georges Labroche, crient "Vive la Fr...", mais leurs voix s’étranglent à la vue des uniformes allemands et, affolées, s’enfuient.
Pendant ce temps, le haut commandement allié, doutant que les lignes allemandes puissent être traversées, prévoit d’affréter un avion pour transporter Von Helldorf. De multiples messages radio sont échangés, et des dispositions sont prises pour qu’un avion portant deux grandes flammes blanches sous les ailes puisse quitter le terrain de Cuprilly et se diriger vers Spa.
Georges Labroche, ignorant ces pourparlers, raconte : "A la sortie de Fourmies, alors que j’exécutais les sonneries et que nous avancions lentement, un soldat allemand courait à notre rencontre. C’était un nommé Treuillaud de Château-Salins, originaire par conséquent de la Lorraine annexée, qui venait nous prévenir que les ponts allaient sauter. Nous l’avons gardé huit jours à la compagnie, habillé en "chasseur" et il est retourné directement chez lui, bien avant nous, le veinard !"
Malgré les embuches du parcours, les plénipotentiaires traversent la forêt de Trélon, dépassent Ohain avec la grosse tour carrée de son église et sa filature, et arrivent à Trélon.
Georges Labroche : "Nous avons dépassé nos premières lignes, mais nous ignorons à combien nous sommes de celles des Allemands. La contrée est propice aux embuscades, les haies y sont nombreuses. Étant devant avec le chauffeur allemand, je suis aux premières loges en cas de coup dur. Mes "coups de langue" redoublent... Bref, nous avançons de plus en plus sur la route Trélon-Macon (Belgique). Nous dépassons un carrefour à 1 500 mètres au sud de Wallers-Trélon, ayant sur notre droite un poteau indiquant la frontière belge à moins de 500 mètres. Cent mètres après, nous stoppons. La route est coupée par une tranchée volontairement faite. Nous inspectons les lieux - le temps de nous repérer - quand un cycliste allemand apparaît au haut d’une crête et dévale vers nous."
A la suite des informations données par cet homme, le capitaine Von Helldorf décide de rebrousser chemin. Ils passent devant la carrière (petite montagne de ce pays presque plat) et prenent la route qui mène à Wallers-Trélon, toujours suivis par la deuxième voiture. A mi-chemin de ce village, un très jeune officier allemand arrête les parlementaires, sous la menace d’un revolver, tandis que ses hommes tirent à la mitrailleuse sur des avions français qui survolent l’endroit. Le capitaine Von Helldorf ordonne le cessez-le-feu et les deux voitures continuent leur route jusqu’à Wallers-Trélon où se trouve tout un bataillon allemand.
Il est 14 h 20. Un uhlan s’avance et salue. Les deux capitaines (français et allemand) rejoignent un groupe de sept à huit officiers allemands. Georges Labroche reste seul, mais pour peu de temps.
Il raconte : "Deux cents boches sortent d’une grange, entourent l’auto et tout joyeux me parlent. J’entends "Krieg fertig, Krieg fertig". Je ne sais pas ce que ça signifie. Je leur réponds par l’unique mot d’allemand que je connaisse : "ja, ja". On m’apprit plus tard que ça se traduisait par "guerre finie". Si ça avait été autre chose, c’eût été le même tabac. Ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est que là où nous étions arrêtés, une femme est venue m’offrir une tasse de café bien chaud et un bouquet de dahlias avec des faveurs tricolores et ça, devant tous les Fritz. Et eux m’ont donné des cigares. J’en avais plein mes cartouchières.
Peut-être une heure ou deux après, nous avons repris la route pour rentrer avec une voiture de la 166ème division d’infanterie. Ça allait mieux, mais fallait sonner quand même. Ça aurait été trop bête de recevoir des balles de chez nous.
Nous sommes rentrés dans nos lignes et c’est là que l’officier d’État-major m’a dit "Mon petit chasseur, es-tu content ? Tu peux te vanter d’être le seul de l’armée française à avoir cet honneur !".
Nous avons été arrêtés par une patrouille du 2ème Chasseurs d’Afrique et les officiers ont causé entre eux et de là, nous sommes repassés à Trélon et à Ohain. Quoi vous dire, on ne peut pas le décrire. Quand on voit tous ces gens qui, pendant quatre ans, avaient été occupés par les Boches, revoir des Français !
Je me souviens devant l’église de Trélon, un homme jouait la Marseillaise dans un piston et tous nous questionnaient, nous embrassaient et les Boches n’avaient pas tout eu, puisqu’on a bu une bouteille de vin bouché !
Arrivée à Fourmies : les pionniers du 19ème sautent sur le drapeau blanc, le déchirent. J’ai un mal fou à en arracher un bout et le capitaine lui-même n’en obtient que difficilement une bande pour l’État-major de la 166ème division d’infanterie et le commandant Ducornez. A Fourmies, je descends de voiture. On m’apprend que ma compagnie est à Pont-Baudet, à un kilomètre au Sud d’Ohain, où je suis passé tout à l’heure. J’y retourne à pied, mais les copains ont laissé mon sac et mon fusil à Fourmies. En conclusion de cette journée, je suis obligé de "m’enfoncer" six kilomètres pour aller reprendre possession de mon barda."
La guerre n’est pas encore finie et les hommes continuent de se battre. Ce jour-là, le 19ème BCP, entre autres, aura encore plusieurs tués.
Mais Georges Labroche sait que la fin de la guerre est proche et il se voit déjà de retour chez lui, pleurant de joie avec les siens. Et dans le secret de son cœur, les yeux de sa bien-aimée lui sourient tendrement.
Fier d’avoir été le témoin privilégié d’une étape dans l’histoire du monde, Georges Labroche se hâte de narrer son odyssée à sa douce amie et glisse, dans l’enveloppe, les faveurs tricolores qu’il a reçues avec le bouquet de dahlias.
Renée Revemont, qui deviendra en 1920, Madame Georges Labroche, travaille à cette époque-là, place de la Fontaine (actuelle place de la République) chez Émile Nicolle, horloger et photographe : "On ne savait pas que j’étais fiancée. Je cachai donc ces faveurs entre des négatifs et je n’y pensai plus. Un beau jour mon patron vendit sa collection de négatifs. Les faveurs partirent avec eux sur Strasbourg. Elles ont sans doute connu une fin sans éclat !"
Georges Labroche ne reçoit ni médaille, ni reconnaissance pour son équipée historique.
Il devra attendre jusqu’en 1938 pour qu’un reporter, Robert Lemaire, fasse un article sur lui, dans le journal "L’ancien combattant", (journal de l’Association des Mutilés, anciens combattants et mutilés de guerre") dans un article intitulé "Les oubliés de la gloire" pour qu’il soit enfin reconnu comme le troisième clairon de l’armistice, au même titre que Sellier et Roux.
Georges Labroche ne connait pas le nom du capitaine avec lequel il a franchi les lignes allemandes. Après l’interview, Robert Lemaire recherche ce capitaine.
De déduction en déduction, il découvre son nom et le rencontre. Il s’agit du commandant Marcel Le Lay (capitaine en 1918).
Ce dernier, n’ayant pas eu à faire de rapport écrit des événements, ne possède, pour unique preuve de sa mission du 9 novembre 1918, que l’attestation de Von Helldorf :
"Le capitaine Le Lay m’a reconduit dans les lignes allemandes le 9 novembre 18, à 14 heures 20. Signé : Reittmeister Von Helldorf"
Et cela lui suffit.
Robert Lemaire lui parle alors de Georges Labroche. Il s’en souvient bien et dit : "Oui, un brave chasseur de la classe 16. Je n’ai jamais vu poilu savourant avec plus de délectation la vie, lorsque dans la voiture qui nous ramenait, il tirait à bouffées puissantes sur l’un des cigares que les Allemands lui avaient offerts."
Mais il comprend bien l’amertume de Georges Labroche qui, de temps à autre, lit le doute dans les yeux de ceux à qui il raconte cet épisode marquant de sa vie, et il lui délivre l’attestation suivante :
"Le capitaine Le Lay Marcel, de l’État-major de la 166ème D.I. (3ème bureau), certifie que le clairon Labroche Georges, de la 1ère compagnie du 19ème B.C.P., dans la matinée du 9 novembre 1918, a pris place, à Fourmies (Nord), dans la voiture du G.Q.G. allemand, conduisant le capitaine Von Helldorf, chargé de porter à Spa les conditions de l’armistice.
Sous la protection du clairon Labroche, sonnant à intervalles réguliers, les voitures ont pu atteindre après beaucoup de difficultés, en traversant l’interligne, le hameau de Wallers-Trélon (près de la route de Chimay), où se trouvait, un bataillon allemand vers 15 heures.
Le capitaine allemand Von Helldorf continua sa route dans les lignes allemandes.
La voiture qui suivait ramena alors le clairon Labroche à Fourmies, malgré de nouvelles difficultés rencontrées le 9 novembre 1918 (carrefours et ponts sautés).
Le 10 novembre 1918.
Le capitaine Le Lay, E.M., de la 166ème D.I.
Signé : Le Lay"
Le 11 novembre 1918, 5 h 30, au carrefour de Rethondes, en forêt de Compiègne, dans le wagon du maréchal Foch, la délégation allemande accepte et signe l’armistice, mettant ainsi fin à une guerre aussi inhumaine que sanglante.
A 11 heures, les clairons de chaque régiment, les cloches de chaque village sonnent le cessez-le-feu. Jamais musique n’aura été et ne sera plus douce aux oreilles des combattants et des civils que celle qu’ils entendirent ce jour-là.
Les gens pleurent, s’étreignent, s’embrassent. Les poilus sortent de leurs tranchées et leurs yeux brillent, on ne sait pas si c’est la joie, le soulagement ou des larmes. L’armistice, enfin... la guerre est finie... le cauchemar est terminé !
L’allégresse du 11 novembre 1918, malheureusement, engendre une recrudescence de la grippe espagnole qui va, de nouveau, endeuiller les familles.
Les chiffres montrent l’ampleur de la catastrophe démographique :
15 millions de morts dans le monde,
en France, 1 400 000 morts ou disparus et 2 800 000 blessés sur huit millions de mobilisés. Environ 10 % de la population masculine active est morte aux combats.
Pour les mutilés, le retour à une vie normale est difficile, physiquement et psychologiquement : membres perdus, poumons gazés, visages défigurés. Pour ces derniers, en 1921, le général Picot (qui était l’un d’entre eux) fonde une association destinée à défendre leurs intérêts : "Les Gueules cassées". Chaque nouvelle année, le calendrier des Gueules cassées montrait des reproductions de peintures que ces mutilés réalisaient avec le pied, avec la bouche... et nous rappelait la terrible destinée de ces hommes et leur calvaire quotidien.
Quant aux rescapés de cette immense tuerie, ils parleront peu de ces années démentes.
Comme tous les survivants de cette guerre atroce, Georges Labroche rentre chez lui. En ce qui le concerne, la guerre n’aura duré que deux ans (classe 1916) et c’est peut-être pour cela qu’il en sort vivant.
Quand il arrive dans sa famille, tout le monde l’embrasse, le fête, mais bien vite, la conversation dérive vers les chers disparus et la joie causée par son retour s’éteint doucement.
Lui-même retient ses larmes : son frère Charles (30 ans) et son cousin germain, Marius Labroche (25 ans) sont morts à trois mois d’intervalle, l’un en juin et l’autre en septembre 1918... Il aurait suffi que la guerre s’arrête quelques mois auparavant pour que tous reviennent, sains et saufs à la maison ! Il s’inquiète aussi pour son autre frère Victor qui est prisonnier et espère son retour pour bientôt.
A son retour, sa sœur est là, en grand deuil, avec son enfant dans les bras : son mari, Louis Fulpin, (30 ans), est mort en juillet 1918, trois mois après Charles Labroche. Ils s’étaient mariés en novembre 1913 et avaient eu si peu de temps pour profiter de leur bonheur avant la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France (3 août 1914)... et maintenant, tous leurs rêves sont irrémédiablement détruits...
Georges est heureux d’être en vie, mais comment pourrait-il l’exprimer quand il lit la douleur et la tristesse sur les visages. Dans le village, tout le monde est en deuil d’un père ou d’un fils, d’un frère ou d’un mari...
Georges Labroche ne reverra plus quelques garçons de son âge : ils sont morts pour la France !
Marcel Gerbeaux, mort en 1916 à l’âge de 20 ans
Eugène Colombo, âgé de 22 ans, mort en avril 1918
Arsène Louis Emile Colin vient de mourir à l’hôpital d’évacuation, dans la Marne, au lendemain de l’armistice. Ses parents n’ont pas pu le revoir vivant encore une fois.
René Charles Morlon, 21 ans, mort en 1916 de ses blessures
Marcel Emile Eugène Christophe, 20 ans, mort en 1915, peu après son incorporation
Louis Joseph Grandcolas, 20 ans, mort en 1915
Aimé Emilien Py, 21 ans, mort en 1916
Eugène Félicien Schaff, 22 ans, mort en 1916
Victor Célestin Bourguignon, 23 ans, mort en 1917
Henri Eugène Thouvenin, 19 ans, mort en 1917
Eugène Louis Marie Joseph Boulanger, 20 ans, mort en 1914, peu après son incorporation
Ferdinand Clémentz, 20 ans, mort en 1917
Henry Marie Berthemin, 22 ans, mort en 1915
Charles Auguste Laurent, 22 ans, mort en 1915
Victor Mangin, 22 ans, mort en 1915
René Albert Rigenbach, 22 ans, mort en 1915
Paul Charles Goudot, 25 ans, mort en 1918
Certains lui étaient proches, de bons copains, d’autres moins, mais ils avaient partagé tant de choses que leur absence définitive laisse un vide immense. Et pendant toute sa vie, Georges Labroche verra ressurgir leur souvenir au hasard d’une conversation, d’un mot, d’un lieu...
En septembre 1970, le Conseil municipal de Chaligny décide de rendre hommage à Georges Labroche en lui dédiant une place. La place de la Fontaine, au Val, est choisie et sera, à compter de cette date, nommée "Place Georges Labroche, 1er clairon de l’armistice du 11 novembre 1918".
A l’occasion du 90ème anniversaire de l’Armistice, l’association "Le livre et l’histoire" de Chaligny a souhaité rendre hommage au Clairon de l’armistice, Georges Labroche.
Cet hommage débutait, le 11 novembre 2008, avec la remise d’une gerbe de fleurs sur sa tombe. Le président de l’association, Jean Claude Perrin, rappelait alors à tous combien cette première guerre mondiale avait été meurtrière, combien la vie quotidienne des soldats avait été intolérable : " Une nouvelle guerre commence : celle des tranchées, quatre années faites d’insécurité, d’inconfort, et bientôt de misère au milieu des poux, des rats et des cadavres que l’on ne recouvre plus. Des efforts énormes, au prix de pertes colossales, pour conquérir 50 m. et pour les reperdre le lendemain. Verdun en sera le parfait exemple. 21 millions d’obus bouleverseront le paysage sur 8 m. de profondeur. La terre devient homme, l’homme devient terre. L’horreur est acceptée comme familière et quotidienne. C’est peut être l’image la plus cruelle de la guerre". (J.C. Perrin)
Il rappelait alors le rôle de Georges Labroche qui, assis dans la première voiture des plénipotentiaires, ne va pas cesser de sonner le cessez-le-feu pendant la traversée des lignes, sous le sifflement des balles, afin que les conditions de l’armistice puissent être acheminées jusqu’au quartier général allemand à Spa.
Ensuite, l’association a organisé, avec le concours du Cercle Généalogique et Historique du Pays de Charmes (CGHPC) et l’Union des Cercles Généalogiques Lorrains (UCGL) une exposition, les 15 et 16 novembre à Neuves-Maisons, qui avait pour thème la guerre 1914-1918. Le CGHPC présentait photos et documents sur la bataille lorraine du 25 août 1914 : "La trouée de Charmes" et l’UCGL, les lettres du soldat Welker.
L’association, initiatrice de ce projet, exposait, entre autres, le clairon de Georges Labroche et divers documents le concernant.
Journal de marche du 19ème Bataillon de Chasseurs à Pied